De la croix à la résurrection – Édito paru dans la revue Notre Église n°168.
Durant ce Carême, nous sommes confrontés à nouveau à la crise des abus sexuels dans l’Église, et plus particulièrement au sein de nos établissements d’Enseignement catholique. La parole se libère et des collectifs se constituent un peu partout en France. Au cours d’une conférence de presse, avec M. Vincent Destais, directeur diocésain de l’Enseignement catholique, et le P. Laurent Bacho, représentant la Congrégation des Pères de Bétharram, dont l’établissement du Beau Rameau est actuellement le plus touché, j’ai assuré les victimes de notre solidarité. Depuis 25 ans et de manière croissante, à la faveur du rapport de la CIASE, mais aussi de la parole qui se libère, l’Église-Institution affiche sa volonté d’assumer ses responsabilités par rapport au passé, souvent lointain, vis-à-vis des victimes : en collaborant avec la justice, pour que les coupables soient condamnés, et en travaillant à la reconnaissance et à la réparation des victimes, avec le concours précieux de l’INIRR (Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation).
Nous avons communiqué aussi sur notre détermination à tout mettre en œuvre, dans le diocèse comme dans l’Enseignement catholique, pour que cela ne se reproduise plus : avec ma déléguée épiscopale pour l’éducation à la prévention des abus, nous avons renforcé notre cellule d’écoute des victimes mise en place en 2016 ; proposé des sessions de formation à la prévention, en présentiel ou en ligne, et promulgué une Charte de protection des mineurs et des personnes vulnérables, en direction de tous les intervenants auprès des enfants, des jeunes et les publics fragiles ; organisé des campagnes de sensibilisation. En outre, j’ai signé des protocoles de signalement avec les Parquets de Pau et de Bayonne, qui favorisent une excellente collaboration avec la justice. Mais ce qui est le plus important, c’est le contact direct, en lien avec la cellule d’écoute, avec les victimes qui demandent à me rencontrer : cette expérience bouleversante m’a fait prendre toujours plus conscience, tant cette réalité est au cœur de ma mission d’évêque depuis des années, combien ces abus sont profondément destructeurs pour les victimes et combien elles attendent de l’Église d’être reconnues et d’obtenir aussi une parole de pardon. Je les assure que pour moi, l’Église n’est pas d’abord une Institution qu’il faudrait protéger – ce temps est révolu – mais des personnes qui, pour avoir été reliées au Dieu vivant, en ont été brutalement séparées par des hommes ou des femmes d’Église, ayant abusé de leur innocence : « Malheureux le monde à cause des scandales ! Il est inévitable qu’arrivent les scandales ; cependant malheureux celui par qui le scandale arrive » (Mt 18, 7), dit Jésus.
Faut-il désespérer pour autant de l’Église ? Non, car l’Église n’est pas une simple institution qui fonctionnerait comme n’importe quelle société humaine, selon des critères principalement extérieurs et politiques : « Elle s’éveille dans les âmes », selon le mot de Romano Guardini et elle demeure sainte, non parce qu’elle n’est composée que de saints, tant s’en faut, mais parce ce qu’elle détient les moyens de sanctifier les pécheurs que nous sommes. L’Église, aujourd’hui comme hier, est comparée par Jésus à un filet de pêche qui ramène toutes sortes de poissons, des bons et des mauvais : c’est le Seigneur qui fera le tri à l’heure du Jugement dernier (cf. Mt 13, 47-50). Ou encore à un champ où croissent ensemble le bon grain et l’ivraie, jusqu’au jour de la moisson, c’est-à-dire la fin du monde (cf. Mt 13, 24-30 ; 36-43). Il ne s’agit pas pour autant de s’accommoder de l’ivraie – l’Église collabore avec la justice civile et elle détient une justice canonique propre pour condamner les coupables et leur permettre de s’amender face à leur destinée éternelle –, mais il faut faire grandir le bon grain et cela est de notre responsabilité. Et nous ne pourrons pas nous exonérer de porter dans notre chair les péchés de nos frères que Jésus seul peut racheter par sa passion, sa mort et sa résurrection. Si nous les portons d’une manière ou d’une autre dans l’offrande de nos vies, jusque dans l’opprobre véhiculé par l’opinion publique, mais en union avec la croix du Christ, sans nul doute le Seigneur s’en servira mystérieusement pour guérir les blessures et changer les cœurs les plus endurcis. C’est l’espérance que le Christ seul peut donner au monde par sa résurrection !
C’est l’espérance que portent aujourd’hui nos catéchumènes adultes – près de 90 cette année contre 40 l’an dernier – qui ont fait l’expérience dans leur vie concrète d’un Dieu d’Amour qui peut les libérer, qui ont rencontré, dans l’Église, le Christ ressuscité, à travers sa Parole, ses sacrements et sa communauté. Que notre montée vers Pâques soit ainsi un appel pressant à nous convertir et un chemin d’espérance pour tous.
+ Marc Aillet