Enseignante tuée au lycée Saint-Thomas d’Aquin de Saint-Jean-de-Luz : communiqué de la Conférence des évêques de France

Enseignante tuée au lycée Saint-Thomas d’Aquin de Saint-Jean-de-Luz : communiqué de la Conférence des évêques de France

La Conférence des évêques de France (CEF) a appris avec stupeur et une immense tristesse le drame survenu ce matin au sein d’un établissement de l’Enseignement catholique à Saint-Jean-de-Luz, le lycée Saint-Thomas d’Aquin.

Nos pensées et nos prières vont avant tout à la famille de l’enseignante, à l’ensemble de la communauté éducative de l’établissement, élèves et enseignants, et à tous ceux qui sont à leurs côtés dans cette terrible épreuve.

Nous assurons le diocèse, son évêque Monseigneur Marc Aillet, ainsi que l’ensemble des équipes de l’Enseignement catholique de notre soutien et de notre communion.

Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France

Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France

Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, Président de la Conférence des évêques de France, à Lourdes, le lundi 7 novembre 2022.

Mesdames,
Messieurs,

Soyez remerciés d’avoir accepté de nous rejoindre aujourd’hui, pour cette conférence de presse qui n’avait pas été prévue jusqu’ici, sans attendre le discours final de notre Assemblée plénière et la conférence de presse qui le suivra.

Avant de vous faire part de la nouvelle qui motive ce bouleversement de notre emploi du temps, je voudrais vous faire part de l’avancée de nos travaux concernant ce que certains appellent « l’affaire Michel Santier ».

En ouvrant cette Assemblée, j’avais souligné combien nous nous réunissions avec des sentiments mêlés et combien surtout nous sentions colère et lassitude chez les personnes victimes de violences et d’abus dans l’Église, en particulier chez ceux et celles qui avaient décidé l’an passé de nous faire confiance et aussi chez les fidèles catholiques, surtout les plus engagés, qui avaient exprimé avant notre assemblée et ont continué à exprimer pendant celle-ci leurs doutes, leur découragement, leur difficulté à assumer l’image désastreuse de l’Église donnée par le traitement des faits reprochés par Mgr Santier.

Une partie de notre travail a donc consisté à rendre clair entre nous ce qui s’était passé. Une chronologie précise des différentes actions menées depuis qu’une personne victime est allée voir son évêque, puis l’archevêque de Paris, alors Mgr Aupetit, a été établie. Elle a aidé à repérer ce qui avait été fait, ce qui n’avait pas été fait, ce qui a été fait insuffisamment et les dysfonctionnements à constater. Nous avons travaillé entre nous, à huis-clos, ce qui nous a permis d’aller aussi loin que possible dans les échanges, mais aussi avec des experts : un avocat, un canoniste et l’official français du Dicastère de la doctrine de la foi. Je les remercie encore de leur disponibilité et de leurs apports précieux.

Permettez-moi d’insister sur quatre points :

  • Les personnes victimes qui ont parlé, une première puis une seconde amenée par la première, ont été écoutées, prises au sérieux, crues. Malgré l’estime générale dont jouissait Mgr Santier, Mgr Aupetit a su recevoir ce que ces personnes lui ont dit et il a enclenché les procédures canoniques prévues. Celles-ci ont conduit Mgr Santier à présenter sa démission en donnant au Pape les motifs de cette demande et cette démission à être acceptée sans délai. Mgr Santier a ensuite fait l’objet de mesures de restrictions de ministère qui le mettent à l’écart de toute possibilité de commettre à nouveau de tels faits ;
  • Il avait été prévu que la démission de Mgr Santier prendrait effet le 30 juin 2020. Un tel acte est normalement annoncé par le Saint-Siège, mais il l’a fait lui-même, dès le 6 juin, en invoquant un motif de santé. Ce dernier était d’autant plus crédible qu’il avait passé quelques semaines à l’hôpital, en pleine crise sanitaire et confinement, dans un état très grave. La mention qu’il avait faite alors « d’autres raisons » est passée inaperçue ;
  • A part l’archevêque de Paris et le Nonce apostolique, les évêques ne savaient rien de ce qu’a commis Michel Santier. Le droit canonique ne prévoit pas que le Président de la Conférence des évêques participe à ces procédures. Il se trouve que j’ai été mis au courant mais ce fut, en quelque sorte, selon la bonne volonté de chacun. Lorsque Mgr Blanchet, en décembre 2020, apprend que le Pape l’a nommé évêque de Créteil, il ne sait rien de la situation exacte de Mgr Santier. Il l’a appris plus tard, au cours d’entretiens préalables à sa prise de fonction. Il a donc dû porter seul ce qu’il avait appris et veiller seul à limiter les adieux et les hommages que les diocésains de Créteil voulaient rendre à celui qui avait été leur évêque pendant 13 ans. J’ai été témoin de ses efforts et de la délicatesse et de la force dont Mgr Blanchet faisait preuve pour contenir au maximum la présence de Mgr Santier sans avoir l’air aux yeux de ses nouveaux diocésains de le mépriser ou de le maltraiter ;
  • Lorsque Mgr Santier, à l’arrivée de Mgr Blanchet, est allé s’installer dans la Manche, sa région d’origine, Mgr Le Boulc’h, évêque de Coutances, ne sait pas quelle est sa situation exacte, ni les raisons véritables de sa démission. Il l’apprend plus tard, parce qu’une des deux personnes victimes s’inquiète de ce qu’elle entend dire des missions qui pourraient lui être confiées. Mgr Le Boulc’h, à son tour, reçoit cette personne, la prend au sérieux et impose à Mgr Santier d’autres conditions de vie et de ministère. Les religieuses chez qui il est envoyé sont prévenues et accueillent Mgr Santier en connaissance de cause, comme un service à rendre à un homme qui s’est rendu coupable d’actes graves mais qui reste un être humain et doit vivre quelque part.

Consultez la chronologie du traitement relatif à la situation de Mgr Santier

Cela étant dit, des insuffisances graves et des dysfonctionnements à tous les niveaux apparaissent clairement à la relecture de cette histoire. Ce constat nous permet aujourd’hui d’envisager des mesures claires et précises pour éviter qu’une telle situation se reproduise :

  • Mgr Santier a été cru lorsqu’il a reconnu les faits rapportés par les deux personnes victimes. Il peut paraître évident, rétrospectivement, qu’on ne doit pas compter sur la personne coupable pour établir la vérité de ses actes. Cette naïveté fait ressortir que les évêques, pas plus que les prêtres, ne sont faits pour traiter des crimes et des délits. Nous ne sommes ni des magistrats ni des policiers et nous n’avons pas à le devenir. Il nous faut être conscients de cette incompétence et recourir résolument à l’aide de tiers compétents ;
  • Le parquet n’a pas été saisi, vraisemblablement parce que les faits avaient été commis sur des personnes alors majeures, jeunes adultes mais adultes, et que ces personnes ne voulaient pas à ce moment-là avoir à être interrogées davantage, le temps ayant passé, leur vie s’étant construite ;
  • La Congrégation pour la doctrine de la foi, en mai 2020, a demandé à l’archevêque de Paris, Mgr Aupetit, d’ouvrir une « enquête préalable » canonique. Cela n’a pas été fait. La définition dans le code de droit canonique de l’enquête préalable n’est pas claire : elle est faite pour établir la vraisemblance des faits. Or, en l’occurrence, cette vraisemblance était établie puisque le mis en cause les avait reconnus. De plus, sa démission était déjà acceptée. Mais dans ces conditions, quand et par ailleurs comment une véritable enquête est-elle menée, pour établir l’ensemble des faits qu’aurait pu commettre le mis en cause et le juger en conséquence ?
  • J’ai souligné déjà le défaut d’information adéquate de Mgr Blanchet et de Mgr Le Boulc’h. Le point est ici de savoir qui aurait dû le faire et à quel moment du processus de nomination il aurait fallu le faire ;
  • Lorsque les mesures disciplinaires imposées à Mgr Santier ont été prises et communiquées, elles ont paru à ceux qui avaient la charge de veiller à leur application : le Nonce apostolique, l’évêque de Coutances, l’archevêque de Rouen, l’évêque de Créteil, modérées et compliquées à mettre en œuvre. Mais la détermination de ces sanctions ne leur appartenait pas, pas plus que leur publication. A l’instar du droit français par exemple, la publication des sanctions est une peine complémentaire. La réaction des fidèles à cette affaire doit nous conduire à rendre clair qu’un évêque étant un personnage public et revendiquant de l’être, des sanctions le concernant devraient toujours être publiées, sauf si une raison proportionnée conduisait à une autre décision. La même réflexion peut valoir pour les prêtres.
  • Quant à la modération relative des sanctions, elle vient, d’après ce que nous avons compris, entre autres raisons, de ce que les faits étaient anciens et sans doute prescrits en droit canonique. Le droit canonique connaît une prescription, tout comme notre droit français et celui de toutes les nations qui se considèrent comme des États de droit. La prescription empêche le juge de connaître des faits passés. Elle marque la volonté du droit non seulement de sanctionner un acte délictueux ou criminel et de réparer autant qu’il est possible ce qu’ont subi les personnes victimes mais aussi de rendre possible la réhabilitation du coupable, sa réinsertion dans la société. Toutefois, à la relecture, il apparaît que la procédure prévoit toujours un « votum », une recommandation de celui qui mène l’enquête canonique, qu’il soit l’archevêque ou le nonce ou une autre personne. Il nous faut travailler à exprimer des « votum » plus argumentés et explicités, tenant compte de deux caractéristiques de l’état du peuple de Dieu en France : d’une part qu’il est difficilement compréhensible à ce peuple de Dieu qu’un prêtre ayant abusé d’une personne à l’occasion d’un sacrement puisse continuer à célébrer la messe même en privé, d’autre part que le peuple de Dieu a la maturité nécessaire pour supporter d’apprendre les fautes commises par un de ses pasteurs. Nous l’avons beaucoup dit l’an passé et nous le croyons : « La vérité vous rendra libres » ;
  • Comme Président de la Conférence des évêques, ayant été mis au courant de la situation de Mgr Santier, même si ces situations ne relèvent pas de mon autorité et de mes pouvoirs, je reconnais volontiers les insuffisances suivantes : j’aurais pu et dû, lorsque Mgr Aupetit m’a prévenu des faits qu’il avait appris, insister davantage pour qu’une enquête approfondie soit menée ; ensuite j’aurais pu et dû m’inquiéter davantage de voir Mgr Santier être maintenu en place, alors même que sa démission avait été acceptée. Mais je le redis : la Conférence des évêques n’est pas partie prenante de la procédure, je n’ai qu’été informé de certaines des décisions prises, et non pas consulté pour recueillir mon avis. En novembre 2021, pendant l’assemblée, j’informe les évêques de ce que des mesures disciplinaires avaient été prises contre Mgr Santier, mais sans donner d’indication sur les faits qu’il avait commis. La Congrégation pour la doctrine de la foi m’avait demandé de prévenir les évêques si je le jugeais utile, autant que possible par oral. J’ai jugé nécessaire de le faire, après un échange avec le Nonce, pour aider Mgr Santier à tenir les règles qui lui étaient imposées et éviter que des évêques ne l’invitent à prêcher des retraites ou présider des pèlerinages. Assurément, une meilleure conscience des responsabilités de chacun est nécessaire, ainsi qu’une meilleure coordination entre toutes les parties prenantes, qu’elles le soient en raison du droit ou de fait.

Vous voyez donc qu’il y a du travail devant nous pour améliorer les procédures et les rendre plus effectives et compréhensibles de tous. Je ne crois pas juste de nous accuser d’avoir voulu cacher l’affaire Santier, en tout cas pas au sens où Mgr Santier aurait échappé à toute sanction ou serait demeuré un risque pour quiconque. Malheureusement, il est aujourd’hui clair qu’il a pu faire dans le passé d’autres victimes que les deux personnes connues jusque-là et peut-être des faits d’une autre nature. Puisqu’un signalement a été fait par l’archevêque du lieu, l’enquête judiciaire permettra de le savoir, nous l’espérons, et, à défaut ou par complément, l’enquête canonique. Mais deux questions demeurent :

  • De quels moyens concrets disposons-nous pour mener une enquête ?
  • Comment peut-on encourager les personnes victimes à parler, créer le climat qui le leur rend possible si elles le souhaitaient ? Au printemps 2019, lorsque deux personnes victimes parlent, les cellules d’écoute existent, l’existence de la CIASE est connue du grand public, il peut sembler qu’une personne qui aurait quelque chose à dire de grave peut le faire et qu’elle peut même savoir qu’elle serait reçue et écoutée. Pourtant, cela n’a pas suffi, l’histoire le prouve, mais seulement le vaste écho médiatique donné au silence, une fois celui-ci rompu.

En même temps que nous nous clarifions, autant qu’il est possible, l’affaire Santier, la Présidence et le Conseil permanent ont travaillé sur les autres cas d’évêques mis en cause devant la justice de notre pays ou devant la justice canonique. Je peux vous dire aujourd’hui ce que nous savons, ce que je sais, dans la limite de ce qu’il me revient. Mais il me faut auparavant vous faire connaître ce que nous avons reçu hier, de manière inattendue. La démarche qui va vous être maintenant partagée à la demande de celui qui la fait est inédite.

A lire : le communiqué du cardinal Ricard du 7 novembre 2022

Cet aveu du cardinal Ricard a été hier accueilli par nous, évêques, comme un choc. Vous pouvez vous représenter l’estime dans laquelle il est tenu par nous qui l’avons élu deux fois comme notre président et qui avons été les témoins de son épiscopat à Grenoble, à Montpellier, à Bordeaux. Nous imaginons la stupeur des diocésains et de tous les catholiques de France. Je dois préciser que le fait dont il parle, même ancien, a fait l’objet d’un signalement auprès du procureur, puisque la jeune fille était mineure au moment des faits, et d’un signalement auprès du Dicastère pour la doctrine de la foi.

J’ajoute donc, comme je commençais à le faire, qu’il y a aujourd’hui six cas d’évêques qui ont été mis en cause devant la justice de notre pays ou devant la justice canonique et qui sont connus de vous, à qui s’ajoutent désormais Mgr Santier et Mgr Ricard[1]. Deux autres, qui ne sont plus en fonction, font l’objet d’enquêtes aujourd’hui de la part de la justice de notre pays après des signalements faits par un évêque et d’une procédure canonique ; un troisième fait l’objet d’un signalement au Procureur auquel aucune réponse n’a été donnée à ce jour et a reçu du Saint-Siège des mesures de restriction de son ministère. A l’occasion de cette Assemblée, la Présidence et le Conseil permanent ont pu vérifier avec les responsables concernés, l’état des procédures et de la situation concrète de chacun de ces évêques. Il ne m’appartient pas d’en dire davantage.

Permettez-moi d’insister sur la grande diversité des situations, des faits commis ou reprochés. Vous voyez que la justice canonique peut agir avec rigueur et systématiquement, parfois au-delà de celle de notre pays, notamment pour des faits qui sont prescrits ou non sanctionnés en droit français. Malgré ses limites, cette justice canonique tient compte de l’exigence de droiture et de cohérence attendue d’un prêtre et de la confiance que beaucoup sont prêts à faire à un prêtre, a fortiori à un évêque, au risque parfois de se laisser tomber, voire de se laisser entraîner dans ce qu’on ne voudrait pas, ce qu’ont vécu les personnes qui ont été victimes de Mgr Santier.

Je ne sais pas grand-chose de plus concernant le cardinal Ricard que ce qu’il a choisi de dire et de rendre public. Notre Assemblée n’est pas achevée. Nous avons à travailler encore, sur le fondement de l’analyse précise de cas que nous avons pu faire. Vous savez que, ce matin, nous avons rencontré les pilotes et un autre membre de chacun des groupes de travail dont nous avions décidé la mise en place lors de l’Assemblée de novembre 2021. Le point d’étape fait aujourd’hui 7 novembre 2022 nous indique déjà les évolutions ou les transformations que nous devrons initier et mettre en œuvre en tant qu’Église pour être davantage, au milieu de ce monde, l’Église du Christ Jésus. Si l’Église est faite de pécheurs, elle doit veiller à ce que ces pécheurs n’usent pas de leur statut ecclésial pour faire du mal et atteindre particulièrement des personnes fragiles ou vulnérables ou rendues vulnérables. Elle doit accompagner les éventuels coupables avec miséricorde, mais elle doit aussi et surtout commencer par protéger les jeunes et les moins jeunes et soutenir celles et ceux qui auraient été victimes en son sein.

Je voudrais vous remercier pour votre attention et pour votre travail. Dans ce temps douloureux où nous sommes, il aide à ce que la vérité se fasse. Je vous assure de la détermination des évêques : nous voulons poursuivre le travail de transformation amorcé l’an passé et que le processus synodal encourage, pour que l’Église réponde à sa mission.

[1]Veuillez noter cette précision : sur ces six évêques, un est aujourd’hui décédé. Au final, dix anciens évêques hors fonction : huit actuellement mis en cause pour abus (dont Mgr Santier et le cardinal Ricard) et deux mis en cause pour non-dénonciation (un condamné en 2018, un relaxé en 2020).

 

source : https://eglise.catholique.fr

Discours de clôture de la 90ème Assemblée plénière des évêques de France

Discours de clôture de la 90ème Assemblée plénière des évêques de France

Discours de clôture de la 90ème Assemblée plénière des évêques de France, le 8 novembre 2022, par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France.

Frères et sœurs, vous tous catholiques de France, laïcs, diacres, prêtres, personnes consacrées, et vous qui, pour une raison ou pour une autre, vous intéressez aux travaux de notre assemblée, chers Frères évêques,

« La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus » : cette phrase qui ouvre l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, « La joie de l’Évangile », du pape François, nous a habités, nous évêques, alors que nous nous réunissions. Nous avions, jeudi dernier, le cœur lourd, remplis de sentiments mêlés ; nous étions douloureux de vous savoir, frères et sœurs, meurtris, en colère, bouleversés, doutant de nous et de notre volonté réelle de sortir de la culture qui a permis les abus et les a couverts. Nous savions la déception des personnes victimes qui avaient décidé l’an passé de nous faire confiance. Or, la joie de l’Évangile, c’est elle que nous voulons servir, c’est elle que nous voulons partager à tous, c’est pour la rendre accessible à tous que nous avons engagé notre vie. Nous sommes humiliés de constater que des actes de certains de nos frères, prêtres et évêques, et la manière dont ces actes ont été traités entre notre structure ecclésiale en France et jusqu’au Saint-Siège provoquent de la tristesse, de l’incompréhension, du dégoût, et empêchent beaucoup de vous de goûter la joie pure et rajeunissante de l’Évangile du Christ. Nous sommes conscients que ces fautes personnelles de tel ou tel nous renvoient tous à nos insuffisances, à nos médiocrités, à nos manquements à la charité, à la justice, à la bonté, à la vérité, manquements qui entachent notre ministère et vous privent parfois, – et une fois, c’est trop-, de connaître le Christ Jésus d’un cœur sans partage. Nous voudrions tant que vous puissiez vivre paisiblement l’expérience des premiers disciples de Jésus, telle que nous la rapporte l’évangile selon saint Jean : « Venez et vous verrez ». « Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. » (Jn 1,39). Nous voudrions tant que beaucoup d’autres puissent la goûter.

Là est la source de la vie pour tous, dans la proximité du Seigneur Jésus, le Fils bien-aimé qui demeure dans le Père et nous ouvre accès à sa filiation. Ce jour-là, auprès du fleuve Jourdain, il n’y avait pas de palais ni de belle maison, tout juste une cabane en roseaux, et là demeurait Jésus et là il a accueilli ceux qui allaient devenir ses disciples et là était la pleine présence de Dieu, son hospitalité la plus forte. Nous avons pu, jeudi dernier le 3 novembre, après avoir passé un long moment à reprendre le déroulement des faits qui avaient conduit à la tourmente que nous vivons, prendre une heure, sous la conduite de Mgr Vincent Jordy, que je remercie au nom de tous, pour partir au bord du Jourdain, rencontrer Jésus comme pour la première fois, le suivre comme « l’Agneau de Dieu » et pour demeurer avec lui. De la même façon, au long de ces jours ici à Lourdes, auprès de la grotte de Massabielle, nous éprouvons l’intercession de Marie, la Mère de Dieu, et de sainte Bernadette, et la prière de toutes celles et tous ceux qui viennent ici prier ou qui confient leurs intentions. Permettez-moi de vous le dire : alors que nous nous étions retrouvés agités, inquiets, peut-être même méfiants les uns à l’égard des autres, nous avons vécu en ces cinq jours un processus d’apaisement, de resserrement de nos liens, de détermination renouvelée.

Nous sommes conscients cependant que la confiance native que le peuple de Dieu mettait dans les pasteurs qui lui sont donnés est ébranlée et qu’elle est, chez certains, chez beaucoup peut-être, brisée. Comment, après avoir découvert ce qu’avait pu faire Mgr Santier ; comment, après avoir entendu ce que le cardinal Ricard lui-même a avoué publiquement hier, pourriez-vous recevoir le cœur en paix la grâce du Christ des mains de quelque prêtre ou évêque que ce soit ? Une telle question secoue toute l’Église, car ce n’est pas le moindre aspect du mystère du Christ que le fait qu’il ne se soit pas contenté de réunir des disciples pour partager avec eux des heures de contemplation et d’échanges mais qu’il en ait mis à part quelques-uns pour aller vers tous en son nom. Le Père de Lubac, grand théologien du siècle dernier, a pu écrire en 1938, dans son premier grand ouvrage Catholicisme : « «Mystère de l’Église, plus profond encore s’il est possible, plus “difficile à croire” que le Mystère du Christ, comme celui-ci déjà était plus difficile à croire que le Mystère de Dieu »[1]. Plus difficile à croire, je le comprends ainsi, parce que le divin, la divine charité, est dans la réalité de l’Eglise, tellement enveloppé d’humain, et d’un humain qui n’est pas que la nature humaine mais ce que nous, les humains, l’avons fait devenir, avec ses abîmes parfois si vertigineux et inquiétants et ses nœuds parfois si meurtriers.

Nous ne nous sommes pas rassurés à bon compte, pendant ces quelques jours, avec des considérations théologiques. Nous avons travaillé, en nous entraidant, et cela sur plusieurs axes.

D’abord nous avons travaillé pour tirer au clair ce qui s’était passé. Le huis-clos, qui n’a pas été bien compris, nous a permis d’aller aussi loin que possible dans la vérité de nos échanges. J’ai exposé hier pendant la conférence de presse, que nous avons ajoutée pour faire connaître la déclaration de Mgr Ricard, l’essentiel de ce travail. Je voudrais uniquement et simplement dire ici à vous tous quatre choses :

  • Premièrement, que Mgr Blanchet, à peine nommé évêque de Créteil, ayant accepté dans la foi cette mission, a découvert alors et progressivement la situation exacte de son prédécesseur. Il s’est trouvé pris dans une situation créée par le silence maintenu des mois avant son arrivée et même sa nomination. Il a dû seul, avec force et délicatesse, trouver la manière de tenir Mgr Santier le plus à l’écart possible, sans pour autant paraître le rejeter ou le mépriser aux yeux d’un diocèse qui voulait le remercier encore, alors même qu’il ne pouvait expliquer à quiconque ce dont il retournait. De même, Mgr Le Boulc’h n’a pas su tout de suite dans quelles conditions Mgr Santier revenait à son diocèse d’origine, et lui aussi a dû, à mesure qu’il le découvrait, chercher les meilleures ou les moins mauvaises manières de l’accueillir, puisqu’aussi bien il fallait que Mgr Santier puisse vivre quelque part.
  • Deuxièmement, le travail fait avec un canoniste, un juriste et un official du Dicastère pour la doctrine de la foi venus nous rejoindre nous a permis de reconnaître qu’il y a eu des insuffisances, des erreurs et des dysfonctionnements dans la manière de réagir aux faits commis par Mgr Santier au fil des procédures. Je les ai énumérés hier. L’essentiel se résume en trois points : le traitement en circuit fermé, entre évêques ; une naïveté entretenue ; un manque de considération pour le peuple de Dieu. Nous avons donc élaboré progressivement pendant ces quelques jours des décisions à prendre. Nous avons abouti ce matin. Nous avons décidé de constituer un comité de suivi auquel tout archevêque ou évêque ayant à traiter du cas d’un autre évêque pour des abus ou agressions sexuelles se référera afin d’être accompagné dans toutes les étapes de la procédure. Nous allons agir aussi auprès des dicastères romains concernés pour préciser les procédures, établir des critères plus précis quant à la publication des faits et des sanctions, mieux définir ce qui est attendu de celui qui est chargé de l’enquête quant au « votum », c’est-à-dire aux recommandations, qu’il doit formuler. Le Saint-Siège a besoin que chacun joue pleinement son rôle et sache lui faire valoir les données propres à une situation ou à un pays. Nous voulons intégrer nous-mêmes davantage que la foi des fidèles est heurtée lorsqu’un prêtre ayant abusé sexuellement d’une personne continue de célébrer l’Eucharistie. Cela a des conséquences précises quant à la manière de nommer un prêtre ayant été condamné et qui a accompli sa peine. Ces décisions nouvelles enrichissent le dispositif mis en place depuis l’an dernier. Nous avons, aussi dans cette ligne-là, voté les statuts du Tribunal pénal interdiocésain qui devrait par conséquent, dès réception du visa du Tribunal de la Signature apostolique, être mis en place début décembre. Nous avons pu réfléchir à la mise en place concrète d’un celebret national, c’est-à-dire d’une carte remise à chaque prêtre permettant d’attester de sa qualité et de sa capacité à célébrer les sacrements. Nous nous sommes préparés aux visites que nous aurons à faire à Rome pour rencontrer le Dicastère pour la doctrine de la foi et la Commission de protection des mineurs.
  • Troisièmement, nous avons été bouleversés par la déclaration du cardinal Ricard. Il a été notre Président pendant deux mandats et une autorité dans notre Assemblée. Nous pensons à la personne qu’il a atteinte dans sa jeunesse, à celles et ceux qui furent ses paroissiens à Marseille, ses diocésains à Grenoble, à Montpellier, à Bordeaux ; nous pensons aux diocésains de Digne. Son aveu rendu public est un acte de grande importance. Par-delà le traitement que la justice, tant celle de l’État que celle de l’Église, peuvent donner à un tel comportement, Mgr Ricard se comporte comme un pécheur repentant qui assume ses actes, quelle que soit leur ancienneté, parce qu’il réalise au fil de son histoire, de mieux en mieux, que le mal fait du mal et qu’il faut rompre cet enchaînement. En parlant publiquement, il s’adresse à tout le peuple de Dieu, il se remet au jugement de chacun. Il inscrit sa déclaration dans le travail de vérité que l’Église a entrepris depuis quelques années et dans lequel l’Église en France tient sa part. Il compte sur nous, baptisés. Il n’en appelle pas à notre indulgence mais à notre fraternité. De plusieurs côtés, on en a appelé ces dernières semaines à la maturité du peuple de Dieu. Beaucoup ont fait valoir combien il était humiliant pour celui-ci d’entendre que les autorités ecclésiales lui avaient caché les fautes d’un pasteur pour le ménager. On fait valoir à raison que le peuple de Dieu est capable de supporter, si douloureux que ce soit, la découverte des fautes de ses pasteurs, et qu’il lui est beaucoup plus violent d’être maintenu un temps dans l’ignorance par un mensonge.
  • Quatrièmement : c’est pourquoi j’ai dit hier, lundi, le nombre des évêques ayant été mis en cause d’une manière ou d’une autre devant la justice de notre pays ou la justice canonique. Le nombre mentionné dans la presse recouvre des cas très différents et des faits qui ne sont pas du même ordre. Je pensais l’avoir indiqué suffisamment et je regrette de ne pas avoir été assez précis. Trois évêques, ces dernières années, ont été mis en cause pour non dénonciation d’un prêtre accusé. L’un de ces évêques est mort, un autre a été condamné et le troisième a été relaxé. Je les ai mentionnés pour que l’information soit complète, mais tout cela est connu de tous. Huit autres évêques ont été mis en cause pour des faits qu’ils auraient commis eux-mêmes. Parmi eux, cinq ont été mentionnés dans la presse et ont fait l’objet d’actions judiciaires, parfois arrêtées, parfois encore en cours. Pour l’un d’entre eux, je le signale, l’affaire a été conclue par un non-lieu. Enfin, trois autres sont en cours d’instruction. Ces huit évêques sont actuellement retirés de la responsabilité épiscopale et sont soumis à des restrictions de ministère de natures variées. Car la justice canonique juge de faits que la justice de notre pays ne connaît pas, et comme cette dernière, elle connaît la gradation des peines et la prescription, des éléments indispensables à un État de droit, même si la justice canonique pourrait progresser encore dans la prise en compte des personnes victimes et de leurs droits. La maturité du peuple de Dieu est soumise à rude épreuve, nous en sommes conscients. Il nous faut tous admettre que ni l’ordination ni les honneurs ne préservent de commettre ou d’avoir commis des fautes dont certaines peuvent être graves même aux yeux de la justice de l’État et que tout être humain peut être habité par des forces troubles qu’il ne parvient pas toujours à maîtriser. Nous, évêques, recevons ce nombre avec douleur. Ce que nous découvrons de quelques-uns de nos frères nous appelle à nous examiner, cela nous a été rappelé, sur notre rapport au pouvoir, aux biens, à notre ministère, à chacune des personnes avec qui nous agissons. Voilà qui nous conduit à une autre réflexion et un autre pan de notre travail.

Nous professons dans le « Je crois en Dieu » : « Je crois à l’Église une, sainte, catholique et apostolique ». Cette formule liturgique peut choquer aujourd’hui. Certains ont écrit ne plus pouvoir la prononcer. Nous les comprenons. Mais l’Église n’est pas sainte parce qu’elle serait faite de saints uniquement ; en tout cas pas parce qu’elle le serait en sa hiérarchie. Elle est sainte parce que, par elle, le Seigneur Jésus enfante à la sainteté les pécheurs que nous sommes. La sainteté n’est pas la perfection morale, nous l’oublions trop souvent. Elle n’est pas non plus un heureux équilibre des vertus naturelles et surnaturelles, traversé par un élan spirituel. Le saint est celui qui apprend à reconnaître ses abîmes intérieurs et qui choisit de s’en écarter par amour pour le Christ, le Fils bien-aimé venu jusqu’à nous. L’Église sainte n’est pas la réunion des « gens bien » ; elle est la communion que tâchent de vivre des pécheurs pardonnés, non pas amnistiés, non pas dispensés d’assumer leurs actes, mais pardonnés et rendus forts par le pardon. Elle est le lieu de cristallisation de notre élan spirituel, non pas d’abord une organisation religieuse qui nous permettrait de vivre à la surface de notre âme, plutôt la communauté qui nous contraint à aller puiser en nous ce que nous voulons vivre en vérité, faisant alors la douloureuse et salvifique expérience que nous n’y parvenons pas tout seuls, ni jamais adéquatement, que nous avons besoin d’être rachetés par le sang de l’Agneau sans tache, par le cri de son agonie et le silence du tombeau, avant que puisse éclore la joie discrète d’abord et pure toujours de la résurrection. La communion de l’Église ne résulte pas d’une harmonieuse organisation, elle résulte de l’engagement de chacun de ses membres, tous ayant reçu « l’onction du Saint », du Saint-Esprit, dans le combat spirituel, pour grandir dans la liberté avec les armes du Christ, et le repentir, la reconnaissance libre de ses fautes et la demande de pardon, l’assomption des conséquences des actes commis, est une de ces armes. La sainteté de l’Église n’est pas l’absence de péché de ses membres mais la capacité de tout le Corps d’accompagner chaque membre dans ce combat de lumière et de paix.

Dans cette lumière-là, sans doute, il nous faut comprendre la synodalité et son articulation à la collégialité. Dans le langage chrétien antique, le mot « hiérarchie » ne désigne pas d’abord le commandement, l’autorité qui ordonne et qui se fait obéir, mais la source, archè, où l’on peut puiser de quoi vivre et porter du fruit. Le ministère apostolique n’est pas d’abord une manière d’organiser un peuple qui serait confus, il a pour mission, ce ministère, de rapprocher de chacun la source pour qu’il puisse y trouver ce dont il a besoin. La source est la présence du Christ ressuscité, au cœur de la liberté de chacune et de chacun, dans la double Parole de l’Ancien et du Nouveau Testaments et dans les sacrements de Jésus. Le ministère est tout entier au service du peuple des baptisés et confirmés, des pécheurs pardonnés, rachetés, appelés à avancer vers la sainteté en devenant les uns pour les autres et pour tous les humains des porteurs de la bonté de Dieu. Le ministère apostolique s’exerce dans la collégialité, car aucun pasteur ne peut seul garantir qu’il relie en vérité à la source. Il ne le peut qu’en étant inséré dans le collège qui a le successeur de Pierre à sa tête. Quant à la synodalité, elle n’est pas d’abord un jeu de répartition des pouvoirs, même s’il faut organiser ceux-ci et veiller à en renouveler la distribution régulièrement. La synodalité est avant tout une recherche commune de la volonté de Dieu, une entraide fraternelle pour avancer sur les chemins de Dieu en s’aidant à sortir de l’esclavage du péché pour grandir dans la liberté des enfants de Dieu. Elle se nourrit donc de la maturité du peuple de Dieu que nous avons évoquée, et elle la fait grandir. C’est en nous portant les uns les autres, selon la différence des états de vie et des dons, dans le chemin de la sainteté, c’est-à-dire de la liberté à l’égard du péché, que nous servons la vie de l’Église que nous formons et dans laquelle nous avons la grâce d’être. Ces quelques jours étaient trop peu nombreux pour que nous puissions lire et analyser le document qui vient d’être publié pour préparer la phase continentale du processus synodal de l’Église. Chacun fera ce qu’il peut dans son diocèse. Mais nous constatons que, de par le monde, dans l’Église entière, les mêmes attentes, les mêmes aspirations, les mêmes douleurs s’expriment, mais aussi la même espérance de vivre la pleine vérité du mystère de l’Église où le Seigneur partage sa sainteté aux pécheurs qu’il appelle à lui.

Nous avons goûté cela, frères et sœurs, vous toutes et tous qui m’écoutez ce matin, nous l’avons goûté, nous évêques, lors du temps passé, hier lundi 7 novembre 2022, avec les pilotes et un membre des neuf groupes de travail dont nous avions décidé la création en novembre 2021. Ils nous ont fait travailler par groupes de dix évêques sur le thème qui leur a été confié. Les voies qu’ils nous ont ouvertes, les transformations de fonctionnement ou de gouvernance, qu’ils dessinent nous seront proposées en mars prochain et nous aurons à exercer notre discernement dans la lumière de l’Esprit-Saint. L’enjeu, pour nous, n’est pas seulement de trouver des procédures plus sûres (on parle souvent de « process ») mais de rendre nos organisations ecclésiales, nos manières de réagir et d’agir face à des cas douloureux, nos modes de vie et de soutien mutuel, plus riches de la vérité de la synodalité et de la collégialité, vécues dans la sainteté de l’Église. Je crois pouvoir dire que nous avons admiré la maturité chrétienne de celles et de ceux qui sont venus à nous, comme des frères et des sœurs qui ne cherchaient ni à nous faire la leçon, ni à grapiller une part de notre autorité mais à nous aider à mieux exercer le ministère apostolique qui nous a été confié par le Seigneur ressuscité. De tout cœur, je remercie au nom de tous les évêques les membres de ces groupes de travail, une bonne centaine de personnes : leur engagement, leur générosité en temps et en réflexion, nous remplissent d’action de grâce.

Nous avons goûté aussi ce mystère lorsque nous avons travaillé à la transformation de notre Conférence. Deux groupes de travail spécifiques avaient élaboré quatre scénarios, chacun caractérisé par une perspective différente : la communion des provinces, la flexibilité maximale, le service minimum, l’hôpital de campagne. Le but poursuivi est moins la recherche d’une diminution des effectifs qu’une meilleure définition du rôle des instances (Assemblée plénière, Conseil permanent, Présidence, conseils et commission) et une meilleure articulation entre elles pour que notre système central soit plus souple, un peu moins coûteux, mieux adapté aux besoins de l’évangélisation aujourd’hui. Les échanges que nous avons pu avoir autour de ces scénarios nous relancent dans la conscience de notre collégialité et de notre responsabilité à chacun de la rendre vivante, la vie de chacun de nos diocèses fortifiant celle de tous les autres. Je salue ici de la part des évêques l’équipe de Nexus qui nous accompagne dans ce labeur avec délicatesse, fermeté et persévérance, cette dernière étant bien utile car les transformations concrètes suscitent toujours des résistances, raisonnables ou non. Il en va de même chez les évêques.

Je voudrais ici remercier au nom des évêques de France, toutes celles et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, travaillent dans la Maison de l’avenue de Breteuil. Ils représentés ici à Lourdes par les directeurs nationaux qui sont associés à notre travail sur l’avenir de notre Conférence comme d’ailleurs, à celui mené à la suite de novembre dernier, et ils sont représentés encore par toute l’équipe qui soutient le Secrétariat général et l’équipe communication. Les réflexions que les évêques mènent sur la transformation de la Conférence des évêques peuvent inquiéter toutes ces personnes.

Tout en portant cette inquiétude, nos collaboratrices et collaborateurs apprennent avec nous de tristes nouvelles. Il en va ainsi tous les ans depuis au moins 2016. Je voudrais redire ce que je leur ai dit plus fois : votre fidélité nous impressionne, elle nous oblige. Que, au milieu de mille inquiétudes, en subissant avec nous les flux de révélation des abus commis par quelques-uns, vous consentiez à venir et revenir travailler avec nous, nous encourage vivement. Nous savons ce qui s’y joue dans tout cela de votre foi dans le Christ et de votre engagement spirituel à chacun.

Les séquences de notre Assemblée consacrées au plan triennal ressources et aux finances nous ont à la fois fait sentir la pression de la réalité : il nous faut anticiper raisonnablement une baisse de nos ressources et tenir compte de l’augmentation actuelle des charges du fait, notamment, de l’inflation, et simultanément ces séquences nous ont fait réaliser que la générosité des fidèles nous permettait d’avancer sur le chemin de transformation sans angoisse, avec une grave sérénité.

Une séquence de ces quelques jours a été consacrée à la transformation pastorale de nos diocèses et une autre à la mise en application du Motu Proprio Traditionis Custodes. Les deux sujets sont différents, bien sûr, mais ils convergent cependant. Il s’agit toujours de notre responsabilité de rapprocher de chacun et de chacune la source qu’est le Christ Jésus. Nous devons trouver les moyens de le faire avec moins de prêtres, des communautés moins nombreuses et surtout insérées dans un tissu social sécularisé et déchristianisé, souvent marqué par l’indifférence religieuse, parfois par la forte présence d’autres religions, notamment l’islam. En parcourant nos diocèses, nous avons souvent l’occasion d’admirer la foi et la persévérance de nombreux fidèles. Nous sentons leur souffrance devant l’évolution de leurs enfants ou petits-enfants et l’inquiétude des jeunes parents devant l’avenir de leurs enfants. Nous éprouvons douloureusement combien les fidélités les mieux ancrées peuvent être ébranlées. Le témoignage de notre Eglise dans notre pays ne peut plus être celui d’une Église co-extensive à la société, organisant celle-ci, en déterminant sa culture profonde. Le témoignage est désormais celui d’une communion de pécheurs pardonnés, émerveillés de pouvoir être en chemin vers la sainteté, où chacune et chacun est accueilli et accompagné par tous, où les vérités de la foi ne sont pas une idéologie sociale et politique mais nous tournent vers le Dieu vivant, le Dieu de nos âmes, le Dieu brûlant qui nous appelle à une conversion constante, qui nous arrache à toute autosatisfaction pharisaïque et nous ouvre le chemin des fils prodigues, qui attend que les frères s’accueillent mutuellement et apprennent toujours davantage à s’aimer. Les immenses trésors de la Tradition ne sont pas des pièces de musée ; la Tradition dont nous sommes les gardiens est celle où le Seigneur Jésus, le Messie d’Israël, se donne et est reçu, si bien reçu qu’il peut être partagé.

Alors que notre pays s’apprête à un nouveau grand débat sur la fin de vie, il nous a paru nécessaire de puiser dans notre tradition et dans la réflexion théologique de quoi vous aider, frères et sœurs, chères auditrices et chers auditeurs, à regarder la mort avec des yeux de chrétiens. Nous avons écrit une lettre pastorale dont nous espérons qu’elle sera, peu à peu, lue et travaillée par beaucoup. Car nous avons tous à mourir et nous vivons dans un monde qui vit la mort comme un échec et qui s’effraie de ses approches, les remettant entre les mains des soignants. Il appartient à notre grandeur d’hommes et de femmes, créés à l’image de Dieu, a fortiori de baptisés morts au péché dans le Christ et ressuscités pour vivre en lui, de nous préparer sérieusement au jour de notre mort. Nous le disons à chaque fois que nous prions le « Je vous salue Marie ». A notre société nous voulons dire qu’il est possible de nous entraider, non pas à mourir mais à vivre jusqu’au bout. Nous vous appelons à prier avec instance aussi pour que notre pays continue à indiquer aux sociétés occidentales qu’il y a d’autres voies que la prétendue « douce mort » et le suicide assisté. Dans une société qui vieillit, il faut consacrer des moyens aux soins palliatifs et à l’accompagnement à domicile, il faut que des hommes et des femmes s’y engagent, il convient que chacun de nous se prépare aussi à accompagner tel ou tel de ses proches jusqu’au bout. Sans juger personne, sans mépriser ni condamner, nous avons, nous catholiques, avec nos frères et sœurs chrétiens mais aussi avec beaucoup d’autres, à éclairer nos concitoyens sur les choix qui se dessinent et à orienter nos vies, parfois à contre-courant, pour témoigner d’autres chemins de vie, plus dignes de l’être humain, plus humbles et plus forts, des chemins que nous aurons peut-être, à Dieu ne plaise, à porter ou à parcourir un peu seuls.

Les sanctuaires de Lourdes nous réservent toujours le meilleur accueil. Je remercie ici Mgr Jean-Marc Micas, le recteur, le P. Michel Daubanes à qui nous souhaitons une belle mission dans ce sanctuaire national, les chapelains, les cérémoniaires, les sacristains, celles et ceux qui veillent sur nous à l’accueil Notre-Dame, les hommes et les femmes qui ont veillé à notre sécurité et à notre tranquillité, toutes celles et tous ceux qui contribuent à rendre ces Assemblées paisibles et efficaces. Nous éprouvons toujours ici, auprès de la grotte de Massabielle, combien le Seigneur nous accueille en lui et nous donne de venir et de voir. Nous étions heureux, dimanche soir, de nous joindre à la procession eucharistique. Auprès de Jésus et auprès de Marie, nous avons retrouvé « l’enfant qui pleure ». Nous ouvrons toujours mieux les yeux sur le fait que l’Église, qui devrait être purement et simplement un lieu de paix et de joie, c’est-à-dire de dilatation intérieure et d’espérance en la beauté de l’humanité que Dieu attire à lui, peut être aussi un lieu de douleurs, un lieu d’empêchement, un lieu de tristesse, d’humiliation et d’atteinte à la dignité de l’humanité. Notre génération a reçu la croix de vivre ce temps. A nous, évêques, avec les prêtres et les diacres, de vous aider, frères et sœurs à traverser ces temps en accédant à la joie du Seigneur. A nous tous d’agir, synodalement et collégialement, chacune et chacun pour sa part, pour servir l’œuvre du Christ qui veut se présenter son Église, « sainte, sans tache, sans aucune faute ». Nous espérons tous, frères et sœurs, vous avec nous, nous avec vous, qu’un jour, « l’enfant qui pleure », caché dans une église ou au fond du cœur de trop de personnes, pourra goûter la consolation du Seigneur. Nous voulons agir pour qu’il puisse entendre la parole qui lui est adressée : « Venez et vous verrez ». Des moments de joie intense nous sont donnés, dans nos rassemblements diocésains, dans la messe dominicale, dans tel service vécu dans la lumière du Seigneur. Sans doute découvrons-nous mieux que l’Église doit être aussi pénitente, mais nous savons que la vraie pénitence conduit à la joie la plus intense.

Notre monde s’inquiète pour son avenir. La COP 27 qui est réunie en Égypte le fait entendre avec force. Les co-présidents du Conseil des Églises chrétiennes de France ont adressé, au début de ce mois, une lettre au Président de la République remise aussi à la Première Ministre. Cette lettre invite à agir avec énergie au cours de la COP, elle salue l’ambition écologique annoncée par le gouvernement, elle constate aussi que le compte n’y est pas, que les décisions envisagées ne suffiront pas pour éviter les drames qui s’annoncent, notamment pour les pays les plus pauvres. La sobriété ne doit pas être une attitude conjoncturelle liée à la guerre en Ukraine et à ses conséquences pour l’approvisionnement en énergie. Elle est une attitude à acquérir et à enraciner spirituellement. Notre humanité se transforme, elle se comprend autrement au sein de l’univers, elle met en cause les repères anthropologiques les plus ancrés. Des jeunes, on dit souvent que nombreux sont parmi eux ceux qui ne savent comment s’orienter, qui hésitent à entrer de plain-pied dans le monde tel qu’il est. Nous les assurons de notre prière. Nous leur adressons un vibrant appel à se rendre à Lisbonne pour les JMJ. Leur rassemblement contribuera à la sanctification de l’Église, leur réponse joyeuse à l’appel du Seigneur, leur communion autour du successeur de Pierre, seront des dons de Dieu pour l’Église et aussi pour toute leur génération. Nous constatons souvent la beauté de la jeunesse catholique.

En concluant cette Assemblée plénière, nous tournons notre attention vers nos concitoyens dont le retour de l’inflation affaiblit gravement les ressources et qui s’inquiètent. Les mois à venir risquent d’être rudes pour beaucoup. Nous implorons Dieu pour l’Ukraine et aussi pour le peuple russe. Nous prions pour les familles endeuillées, pour les morts, les blessés, les familles séparées, pour les vies empêchées par cette guerre. Nous en appelons à la paix dans la vérité et la justice. Nous pensons aussi à l’Arménie, qui vit un drame comparable ; au Liban, à la Syrie, au Burkina-Faso, au Nigéria, au Mali et aux pays d’Afrique menacés par des mouvements islamistes et par l’insuffisance des récoltes. Nous avons une pensée fraternelle pour le peuple iranien et pour le peuple afghan. Pendant que nous étions ici à Lourdes, le pape François effectuait au Bahreïn un voyage sans doute historique. Nous demandons à Dieu que ce voyage puisse porter des fruits nombreux.

Nous osons le dire, nous osons le demander : que la joie de l’Évangile rejoigne chacune et chacun de vous, qu’elle emplisse votre cœur et votre vie à chacun, que tous nous puissions vivre des moments de grâce en demeurant près de Jésus, l’Agneau de Dieu, le Fils bien-aimé du Père. Nous, évêques, avons travaillé et travaillons pour que cela soit possible. Nous vous remercions pour votre prière et vos encouragements, pour votre exigence aussi.

Frères et sœurs, vous tous qui m’écoutez et vous intéressez pour une raison ou pour une autre à la vie de l’Église en France, les évêques tous rassemblés ont voulu vous adresser une lettre, « bouleversés et résolus ». Acceptez de la lire et d’y entendre parler notre cœur et notre responsabilité. Nous nous doutons que le chemin pour guérir les bouleversements, les colères, les inquiétudes sera long. Nous osons croire qu’il vaut la peine et nous vous assurons que nous y sommes engagés.

Merci de votre attention.

[1] Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme dans l’édition des Œuvres complètes du cardinal Henri de Lubac, t. VII (désormais OC VII), éd. par Michel Sales avec la coll. de M.-B. Mesnet, 2003 (la citation se trouve pp. 48-49) ; cette édition reproduit la 7e éd. (1983).

source : https://eglise.catholique.fr

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