Soeur Anne Monique Huberfeld, soeur de Notre-Dame de Sion, est décédée le 4 juillet 2025 à Bayonne. Un parcours de vie unique, long de 95 années.

Née le 2 novembre à Nancy de parents juifs polonais, Monique Huberfeld est décédée à Bayonne parmi les sœurs de Sion de la maison de retraite d’Osteys le 3 juillet 2025, emportée par un cancer du pancréas. Les épreuves ne lui auront pas été épargnées : du fait de la Shoah elle perdit son père Rubin déporté à Sobibor en février 1943 après être passé par Gurs et Drancy, et son frère aîné Jacques arrêté pour fait de résistance en juillet 44 et assassiné à Montluc ou peut-être après avoir été déporté à Buchenwald. Sa mère Cywie meurt de tuberculose en 1935 et la sœur de sa mère, Anna, que le père de Monique épousera en seconde noce, sera elle aussi emportée par cette maladie en 1940.
Jusqu’à l’âge de 9 ans la jeune Monique vit une vie qu’elle considère comme normale et presque heureuse. Son grand-père a été tué dans un pogrom, très probablement à l’occasion d’une procession mais son père émigre en France et exerce le métier de tailleur aidé de deux employés. Monique aime la danse, elle fréquente la synagogue et se découvre un fort potentiel intellectuel. Tout s’effondre lorsque son père est mobilisée et sa belle-mère tombe malade. Hébergée dans des familles d’accueil peu scrupuleuses ou bien dans des orphelinats tenus par des religieuses elle découvre la personne de Jésus qui l’accompagnera toute sa vie durant. Je pouvais lui parler et lui m’écoutait, confie-t-elle. Afin d’être tout à lui elle souhaite devenir religieuse et pour cela demande le baptême qu’elle reçoit à St Claude le 9 janvier 1944 en présence de son frère qu’elle ne reverra pas. Elle reste néanmoins fortement attachée à sa judaïté et lors d’un noviciat avorté chez les sœurs de la Charité elle réagira avec force contre les propos antisémites de la maîtresse des novices.
Après des études d’infirmière et d’assistante sociale elle découvre avec bonheur la branche apostolique des sœurs de Sion, les Ancelles, qui rend possible une vie religieuse associée à une activité professionnelle. Au moins là je ne serai pas confronté à des propos anti-juifs, pense-t-elle. On la retrouve ensuite à Barcelone, au Brésil, à Tunis et à Rome où elle étudie à l’institut biblique pontifical pendant 4 ans à partir de 1967. Elle sera la première Française et l’une des premières femmes à être diplômée du Biblicum.
A 55 ans elle est sollicitée par le diocèse de Versailles pour donner un enseignement biblique et, pendant une trentaine d’années, elle s’investit dans le dialogue entre Juifs et chrétiens. Elle organise des voyages en Israël et dans les pays environnants. Elle se définit à la fois comme fille d’Israël et fille de l’Église. En 2017, elle doit arrêter son activité et elle passera les 8 dernières années de sa vie à Bayonne. Elle y retrouvera sœur Ionel Mihalovici, juive roumaine décédée en 2023. Elle participera aux activités du groupe local de l’Amitié Judéo-chrétienne dont la présidente, Danielle Sabbah, deviendra une amie très proche. Je l’ai moi-même accompagnée au camp de Gurs où, fondant en larmes, elle me confia qu’elle avait pu enfin dire adieu à son papa. Le lenemain de cette visite elle était accueillie ici par notre rav mendy Matusof, Martine Benaïm et Danielle Sabbah.
Elle était partie prenante des activités du Service diocésain pour les relations avec le judaïsme et trois semaines avant de décéder elle accueillait très positivement la proposition qui lui était faite, que le petit groupe d’étude du Nouveau Testament par Zoom créé en 2021 avec Eric Aziza, le rabbin d’Arcachon porte désormais son nom. Enfin pendant les quelque jours de lucidité qui lui restaient à vivre elle recevait avec joie la visite du rav Mendi Chein de Biarritz.
Que soit bénédiction la mémoire de sœur Geneviève Ruellan, sœur Marie-Hélène Fournier, sœur Ionel Mihalovici et sœur Anne-Monique – le nom que portait Monique Huberfeld en religion – ainsi que celle du docteur Claude Leifer, longtemps président du groupe d’AJC de Bayonne. Merci à toutes ces personnes, qui ont permis à des non-Juifs de dire avec Bilam :
Ma Tovou ohalékha Ya’akov, michkenotekha Yisrael.
Qu’elles sont belles tes tentes ô Jacob, tes demeures, ô Israël !
Jean Kalman, responsable du service diocésain de relation avec le judaïsme
Mot d’accueil pour ses obsèques qui ont eu lieu en la chapelle de l’EHPAD Osteys.
Monique, c’est un monument !
Indestructible !
Monique, c’est un parcours de vie unique, depuis l’enfance jusqu’à ces derniers jours de vie.
Dans une conversation menée il y a quelque temps avec notre archiviste de la Congrégation, Monique s’est étendue longuement, avec des détails précis sur son itinéraire de 95 années.
Malgré une vie si chamboulée, aux nombreuses tribulations, elle termine cet entretien par ces mots en réponse à la question : « Une vie très riche, très remplie ? » Elle a répondu : « Une vie très pleine, très heureuse. »
Qu’ajouter à cela ? C’est sa signature, son credo.
Son parcours de vie est unique.
Elle a des racines familiales judéo-polonaises. Plus tard elle cherchera à retrouver ces racines. Elle retrouvera en Israël des Huberfeld et les visitera. Peut-être tient-elle de ses lointaines racines familiales sa forte personnalité, son caractère déterminé, son pouvoir de rebondir sans cesse lors de situations difficiles. Elle était intelligente, sociable, malgré ses aspérités, elle était généreuse en amitiés. Elle ne craignait pas non plus d’être exigeante quand les injustices sociales la révoltaient.
Un parcours de vie, si long… De près de 95 années.
Un parcours divers, riche et souvent combien difficile.
Née en 1930, elle eut une vie d’enfant juive cachée ; une jeunesse sans famille, solitaire, ses jeunes mère et belle-mère étant décédées, son père déporté, mort à Auschwitz, son frère aîné, très aimé, Jacques, assassiné en France pour faits de résistance. Grâce à des personnes amicales envers elle, elle a été sauvée et a pu trouver un chemin de vie.
Elle portait en elle deux désirs : le Baptême chrétien qu’elle recevra envers et contre tout et contre tous le 9 janvier 1944, elle n’avait pas encore 14 ans.
Elle avait aussi le désir de devenir religieuse. Cela, elle le fera en octobre 1956.
Ces deux désirs ont vraiment tissé la trame et les fils de sa vie.
Diverses circonstances l’ont amenée vers la Congrégation des Sœurs de Notre Dame de Sion. Elle y a compté des amies très chères : Mère Clothilde, Mère Francia de Linarès.
Elle a d’abord été « Ancelle » : groupe de sœurs engagées professionnellement et ne portant pas d’habit religieux.
Quand ce groupe s’est séparé de la congrégation en 1964, Anne Monique a choisi de rester dans la congrégation des sœurs de Sion, gardant ses habits laïcs et en poursuivant son chemin avec une grande liberté de pensée. Cette liberté était alimentée par le soutien de personnalités amies comme le père carme : Michel de Goedt et le père Paul Beauchamp, jésuite bibliste qui fut son maître spirituel.
Sœur Anne Monique a été envoyée en plusieurs pays où la congrégation était implantée. Nous la verrons en Tunisie, à Barcelone, au Brésil où elle restera de longues années. Elle apprendra la langue de ces pays et travaillera surtout dans le domaine social. Elle avait reçu une formation professionnelle d’infirmière et d’assistante sociale.
Elle sera envoyée à Rome pour étudier à l’Institut Biblique Pontifical, ainsi qu’à Jérusalem pour compléter ses études. Finalement elle reviendra en France.
Quelles activités n’a-t-elle pas eues et exercées ?
Quel soutien aussi n’a- t- elle pas donné à ce qui lui restait de famille : sa demi- sœur Cécile et ses enfants ?
Elle a toujours été soucieuse de s’engager dans des activités au service des relations judéo-chrétiennes car, en elle, elle avait fait l’unité de son être juif et chrétien. A la fin de sa vie professionnelle, elle participera à l’organisation et à l’animation de sessions bibliques à travers la France. Elle organisera aussi des voyages en Proche Orient, sur les traces de saint Paul.
Elle était vraiment infatigable.
A Bayonne, peu à peu, la maladie fera son œuvre en elle.
Mais là aussi, en maison de retraite elle poursuivra son engagement social en quartier populaire, trouvant le moyen de s’y faire des amis. Des amis, elle continuera à s’en faire jusqu’à son dernier séjour en clinique.
Elle participera à toutes les rencontres possibles, en particulier avec nos frères et sœurs juifs.
Et nous voilà ici, sœurs, amis, famille, devant le cercueil de sœur Anne Monique.
Que le SHALOM, la paix infinie de Dieu, soit avec toi, chère Monique et que le Dieu d’Israël et des Nations t’accueille dans le mystère de ta personne et de ta vie, là où la vie ne finit pas.
Anne Denise, Géménos, Maison de retraite Flore d’Arc.
