Message de Monseigneur Marc Aillet du 9 novembre 2022 à propos des affaires d’abus sexuels concernant des évêques, révélées lors de l’Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes
Chers frères prêtres et diacres
Chers frères et sœurs consacrés et fidèles laïcs,
C’est avec beaucoup de tristesse que je m’adresse à vous aujourd’hui, de retour de l’assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, où nous avons été informés de plusieurs affaires d’abus sexuels concernant des évêques. Comme vous, nous avons été particulièrement bouleversés par les révélations que le Cardinal Jean-Pierre Ricard a portées à notre connaissance et à celle du grand public. Je suis moi-même d’autant plus troublé qu’il m’a ordonné évêque et qu’il a été notre archevêque métropolitain pendant des années.
Tristes et résolus
Ma pensée se tourne d’abord vers les victimes de ces faits gravement répréhensibles attribués à des évêques, alors qu’ils étaient prêtres. Qu’elles soient assurées de notre compassion, de notre prière et de notre engagement à reconnaître leur souffrance et à les accompagner dans leur reconstruction.
Je mesure aussi la déception, la tristesse et la colère qui s’emparent légitimement de beaucoup, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, avec le sentiment d’avoir été trahis dans leur confiance en l’Eglise et en sa hiérarchie. Dans ce climat douloureux, nous, les évêques, avons travaillé avec détermination et dans un esprit malgré tout serein et fraternel. Nous avons relu sans concession ces événements et poursuivi résolument ce travail que nous avons initié il y a un an, suite à la réception du Rapport de la CIASE. Ce travail, nous le menons avec l’aide compétente et mature de fidèles laïcs, y compris de victimes, engagés dans les neuf groupes de travail que nous avons constitués. La dimension synodale de cette démarche nous permet de sortir de l’entre soi.
Un regard de foi
Comme vous, nous nous sentons honteux et humiliés par ces révélations, mais nous savons tous que c’est la vérité qui nous rendra libres (cf. Jn 8, 32). Jésus nous avait prévenus : « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive » (Lc 17, 1). Il n’est toutefois pas indifférent que Jésus associe à ces propos si sévères une leçon sur le pardon des péchés : « Si un frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et s’il se repent, pardonne-lui » (cf. Lc 17, 3). J’ai bien conscience que nous ne pouvons accueillir ces paroles que dans la foi ; et c’est pourquoi cette péricope évangélique se conclut avec cette prière adressée par les apôtres à Jésus et que nous pouvons faire nôtre : « Seigneur, augmente en nous la foi » (Lc 17, 5).
Si la Miséricorde veut croire à l’amendement du coupable, elle ne peut jamais pour autant faire fi de la justice, appelée à réparer le préjudice subi par la victime par une peine juste et proportionnée. Mais la foi seule pourra nous aider, après le temps légitime de la colère et de la déception, à surmonter cette épreuve. Comme nous y exhorte l’auteur de l’épitre aux Hébreux : « Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi […] et vous ne serez pas accablés par le découragement » (He 12, 1-3).
Tous ces événements douloureux, qui blessent le corps ecclésial en son entier, nous obligent, nous, évêques, prêtres et diacres, à nous rappeler humblement que, si nous sommes configurés au Christ tête, pasteur, serviteur et époux de l’Eglise, appelés à le rendre présent au sein du peuple de Dieu, comme de « simples serviteurs » (Lc 17, 10), nous ne sommes pas pour autant le Christ lui-même (cf. Jn 1, 20). Nous ne sommes que ses instruments, conscients de leurs faiblesses et appelés avec tous les baptisés à la conversion et à la sainteté !
Le Mystère de l’Eglise
Comme l’a déclaré Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, dans son discours de clôture de notre assemblée plénière : « L’Église n’est pas sainte parce qu’elle serait faite de saints uniquement ; en tout cas pas parce qu’elle le serait en sa hiérarchie. Elle est sainte parce que, par elle, le Seigneur Jésus enfante à la sainteté les pécheurs que nous sommes ».
Le grand théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, pasteur luthérien, résistant et martyr du nazisme, exécuté en 1945, écrit des pages lumineuses sur le Mystère de l’Eglise qu’il me paraît bon de relire dans les circonstances actuelles : « Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre, ne serait-ce que quelques semaines, dans l’Eglise de nos rêves, dans cette atmosphère d’expériences bienfaisantes et d’exaltation pieuse qui nous enivre. Car Dieu n’est pas un Dieu d’émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité. C’est pourquoi seule la communauté qui ne craint pas la déception qu’inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares, pourra commencer d’être telle que Dieu la veut et saisir par la foi la promesse qui lui est faite […] Dieu hait la rêverie pieuse, car elle fait de nous des êtres durs et prétentieux. Elle nous fait exiger l’impossible de Dieu, des autres et de nous-mêmes. Au nom de notre rêve, nous posons à l’Eglise des conditions et nous nous érigeons en juges sur nos frères et sur Dieu lui-même ».
Nous devons poursuivre les efforts engagés pour faire de notre Eglise une Maison toujours plus sûre, comme l’attestent les mesures et les résolutions que nous avons prises au terme de cette assemblée plénière. Nous ne pouvons pas pour autant idéaliser l’Eglise : fondée par le Christ comme sacrement du Salut, elle est composée de pécheurs qui déçoivent souvent le dessein d’amour de Dieu, mais reçoivent sans cesse, s’ils le veulent bien, la promesse de sa miséricorde ! Comme l’écrit l’apôtre Paul : « Le Christ a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Eglise, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée » (Ep 5, 25-27). Invitation à aimer l’Eglise et à nous livrer pour elle, « par le Christ, avec lui et en lui ».
Que ces quelques paroles, qui n’ont pas pour but de justifier les coupables, ni de taire les dysfonctionnements pointés dans la gestion de ces scandales, mais « d’avancer au large » (Lc 5, 4), vous rejoignent en profondeur et vous aident, malgré le poids de la colère et de l’incompréhension, à croire toujours plus intensément en Jésus-Christ sauveur et à la sainte Eglise catholique.
L’heure est pour nous à la prière : supplions le Seigneur de guérir les blessures, d’amender les coupables, de réparer le scandale.
Je vous invite enfin à lire ci-dessous, le message, « Bouleversés et résolus », que les évêques de France ont voulu adresser à tous, au terme de leur Assemblée plénière.
Avec mes sentiments dévoués dans le Christ et son Eglise, et ma prière pour vous tous.
+ Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron
« Bouleversés et résolus »: lettre des évêques de France aux fidèles catholiques (8 novembre 2022):
Chers frères et sœurs,
Réunis en assemblée plénière à Lourdes, nous avons entendu la stupéfaction, la colère, la tristesse, le découragement suscités par ce que nous apprenons au sujet de Mgr Michel Santier, ancien évêque de Luçon puis de Créteil, et maintenant au sujet de Mgr Jean-Pierre Ricard, ancien archevêque de Montpellier puis de Bordeaux.
Nous sommes conscients que ces révélations affectent douloureusement les personnes victimes, en particulier celles qui avaient choisi de nous faire confiance. Nous constatons l’ébranlement de nombreux fidèles, de prêtres, de diacres, de personnes consacrées. Ces sentiments sont également les nôtres. Membres d’un même corps ecclésial, nous sommes nous aussi blessés, atteints en profondeur. Dans le cas de Michel Santier, nous avons vivement conscience des responsabilités qui nous reviennent et nous avons travaillé pendant notre assemblée à identifier les dysfonctionnements et les erreurs qui ont mené à une situation choquante pour tous.
Certains ont pu se demander si le droit de l’Église n’organisait pas une forme d’impunité ou de traitement particulier des évêques. Ils pensent, à juste titre, que la responsabilité épiscopale renforce chez ceux qui l’exercent le devoir de droiture et la légitime exigence des fidèles comme de l’institution ecclésiale. Nous le redisons avec force : il n’y a pas, et il ne peut pas y avoir, d’impunité des évêques.
En raison même de la nature de leur charge apostolique, les évêques dépendent directement du Saint-Siège. Les procédures qui les concernent sont plus complexes et prennent davantage de temps. Nous nous engageons à travailler avec le Saint-Siège aux clarifications et aux simplifications qui s’imposent. Nous avons décidé de mettre en place un Conseil de suivi qui nous permettra de ne pas affronter seuls et entre nous ces situations.
Certains s’interrogent : dans les circonstances présentes, quel crédit donner aux engagements pris il y a un an pour tirer les conséquences du rapport de la Ciase ? Nous pouvons en donner l’assurance : une transformation des pratiques est bel et bien en cours, avec l’aide de nombreux fidèles laïcs particulièrement qualifiés, dont des personnes victimes. Des décisions sont déjà prises et mises en œuvre. Diocèses et mouvements d’Eglise s’impliquent de manière plus construite dans la protection des mineurs. Les groupes de travail décidés il y a un an rendront leurs conclusions en mars 2023. Nous venons de faire un point d’étape avec eux au cours de cette assemblée. Ce travail de fond commence à porter du fruit. Nous continuerons sur cette lancée.
Une autre question habitait nos cœurs au début de l’assemblée plénière : y a-t-il, y aura-t-il d’autres affaires de ce genre ? La condition humaine étant ce qu’elle est, nul n’est à l’abri de fautes graves et dramatiques. Mais nous pouvons et nous voulons renforcer dans l’Église les processus qui les limitent au maximum et les traitent adéquatement quand elles surviennent.
Dans ce contexte, le communiqué du cardinal Jean-Pierre Ricard nous a tous bouleversés. Son initiative de révéler lui-même un fait grave de son passé est importante. Nous avons mentionné l’ensemble des situations que nous connaissons. Elles concernent des évêques qui ne sont plus en fonction. Elles ont toutes fait l’objet d’un traitement judiciaire.
Frères et sœurs, humblement mais de tout cœur, nous continuons le travail entrepris pour que l’Église soit une maison plus sûre. Les personnes victimes demeurent plus que jamais au cœur de notre attention. Vos attentes et vos exigences sont légitimes et vraiment entendues. Nous les accueillons comme venant du Seigneur lui-même. C’est tous ensemble, nous en avons conscience, que nous pouvons contribuer à une fidélité renouvelée à l’Évangile. Telle est notre détermination résolue. Telle est notre humble prière.
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Message de Mgr Aillet
Message des évêques de France
Bouleversés et résolus